Textes des médiateurs
[collège]


6 avril 1996 : constitution du collège des médiateurs

Les familles africaines accueillies par la Cartoucherie à la suite de leur expulsion de l'église Saint-Ambroise, les associations qui les soutiennent et les théâtres qui les hébergent, sont plus que jamais déterminés à ouvrir la voie à un dialogue avec le gouvernement.C'est pourquoi ils ont souhaité que soit constitué un Collège de médiateurs dont voici la liste des membres.

  • 9 avril 1996 : rectification du communiqué du 6 avril

    Monsieur Pierre Lyon-Caen a rejoint le Collège [...]. Afin de laisser ce Collège travailler avec la sérénité nécessaire, les sans-papiers ont décidé de surseoir à la grève de la faim qu'ils devaient reprendre dès ce jour.


    8 avril 1996 [communiqué] : premier communiqué du collège

    Á propos des réfugiés de Saint-Ambroise

    Devant la gravité et l'urgence de la situation des familles d'immigrés rassemblées à la Cartoucherie et dans la crainte de développements dramatiques, les personnes présentes en ce jour et dont les noms suivent :

    demandent la suspension de toute mesure d'éloignement du territoire pour permettre de trouver les solutions humainement acceptables qu'appelle la diversité des cas constatés.

    Elles estiment que, pour y parvenir, la voie d'une médiation de bonne foi serait appropriée. Elles sont disposées à en envisager les modalités avec les autorités compétentes.


    15 avril 1996 : entrevue à Matignon

    Le Collège des Médiateurs, saisi du cas des étrangers réunis à la rue Pajol, après avoir été reçu, le mercredi 10 avril, par un représentant du Premier Ministre, a obtenu alors l'assurance que les étrangers concernés ne seraient pas inquiétés tant que les dossiers n'auraient pas été examinés, et qu'ils le seraient avec humanité.

    Un travail est actuellement en cours pour préparer tous les dossiers et les transmettre aux pouvoirs publics.

    Gardant le contact avec les familles africaines et ayant constaté leur sens des responsabilités, le Collège des Médiateurs reste vigilant sur l'ensemble de ces cas qui nécessite un réglement rapide, et, au delà de ces cas, sur la situation générale créée en France à l'égard des étrangers par les conséquences de la législation en vigueur.

    Les Médiateurs présents en ce jour :


    23 avril 1996 [note interne] : entrevue avec le Directeur général de la Police

    Chers amis,

    La journée du 22 avril nous pose des problèmes qu'il faut aborder et résoudre le plus vite possible. L'entretien, à 9 heures, avec le Directeur général de la Police ouvre une voie, mais elle comporte des risques sérieux. M. Leenhardt nous propose de lui remettre une liste des Africains de Pajol comprenant les indications essentielles sur leur identité qui lui permettra de nous faire savoir, après un délai inévitable pour consulter les différentes préfectures concernées, quels sont ceux qui recevront à terme une convocation pour l'examen de leur dossier, examen privilégiant la régularisation chaque fois que les critères exigés par la loi le permettent, et quels sont ceux dont la situation ne permet en aucun cas la régularisation et qu'il ne veut pas connaître.

    Nous avons clairement exposé aux Africains, entre 18 et 22 heures, à Pajol, les chances et les risques de cette procédure. S'ils l'acceptent, nous devrons recevoir très vite une liste aussi complète que possible où ils figureraient tous sans discrimination.

    Toutefois, pour ne pas apparaître seulement comme les auxiliaires des pouvoirs publics, il me semble urgent que nous exprimions, par une déclaration rendue publique, notre position sur les atteintes à la dignité humaine que les procédures en vigueur, et à plus forte raison les propositions de durcissement de la législation, font courir aux immigrés. Vous avez reçu (ou vous trouverez ci-joint) le texte rédigé dans ce sens par Monique Chemillier-Gendreau.

    Pour être opérationnelle cette déclaration devait, à mon avis, réclamer la régularisation rapide de tous les immigrés en situation irrégulière en France depuis plus de trois ans et n'ayant pas encouru de condamnation pénale.

    Notre prochaine réunion est prévue le lundi 29 avril à 17h à l'entrepôt de la rue Pajol (22 ter), pour rencontrer les représentants des associations de soutien (Gisti, Cimade, Droit devant, Ligue des Droits de l'Homme, Fasti,...) et convenir d'une répartition des tâches. Puis-je espérer que lors de cette réunion nous aurons en mains un texte de ce genre?

    Très cordialement,

    Stéphane Hessel


    29 avril 1996 [lettre] : dix critères pour la régularisation

    Après une réunion avec les familles africaines, "Réfugiées de Saint-Ambroise", et avec leur accord, le Collège des Médiateurs a établi une liste des critères qu'il considère comme justifiant une régularisation :


    1er mai 1996 : lettre au Premier Ministre

    Collège des "médiateurs"
    secrétariat : 14, rue d'Assas
    75006 Paris
    Paris, le 1er mai 1996

    Monsieur le Premier Ministre,

    Alarmés par une situation qui expose trois cents Africains, dont plus d'une centaine d'enfants et un nouveau-né, à des conditions de vie inadmissibles, les signataires réunis en un Collège solidaire ont travaillé en contact étroit avec les délégués des familles. Ils ont élaboré une solution qui ferait intervenir, face à une situation exceptionnelle, des mesures de régularisation urgentes.

    Ces mesures sont conformes aux valeurs fondamentales de notre démocratie et à nos engagements internationaux relatifs aux droits de l'homme. Elles ne sont pas incompatibles avec la législation en vigueur. Elles ont le soutien de tous les membres de notre Collège et des délégués des familles.

    Nous souhaitons être reçus par vous dès que possible pour vous les exposer de vive-voix.

    [signé par les membres du collège des médiateurs]


    8 mai 1996 [communiqué] : après l'entrevue avec le Premier Ministre

    Les réfugiés de Saint Ambroise

    Le Collège des médiateurs a communiqué le 29 avril au Premier Ministre des propositions permettant de sortir de l'impasse où se trouvent les 300 Africains qui, « expulsés » de Saint-Ambroise, sont regroupés depuis le 13 avril dans un entrepôt de la SNCF, dans des conditions de vie très précaires et particulièrement difficiles pour les femmes et les nombreux enfants qui font partie du groupe.

    Quatre médiateurs ont été reçus le 6 mai par de proches collaborateurs d'Alain Juppé en présence de deux hauts fonctionnaires de la Préfecture de Police. Il a été convenu de désigner un interlocuteur unique, comme le souhaitaient les Africains, pour l'examen de l'ensemble des cas. Celui-ci adressera, sous quinze jours, à tous les Africains dont le cas n'exclut pas d'emblée une régularisation, des convocations à des entretiens.

    Ces entretiens donneront lieu à un examen bienveillant des situations, en prenant appui sur un ensemble de critères dont la conjonction devrait permettre de régulariser les cas de tous ceux dont l'insertion dans la société française ne mettrait pas en question l'ordre public.

    Les Africains, par l'intermédiaire de leurs délégués, ont été informés de cette procédure, qui leur permet, selon leur voeu, de rester regroupés jusqu'à l'examen de leur situation.

    Ils communiqueront, le 10 mai, les renseignements administratifs nécessaires à l'instance unique, afin que celle-ci puisse engager les procédures requises.

    Ils sont assurés de pouvoir rester rue Pajol jusqu'au règlement de leur situation.

    Le Collège des médiateurs, qui a communiqué au Premier Ministre la liste des critères qui lui paraissent devoir être pris en considération, continuera à suivre avec la plus grande vigilance l'évolution et l'issue de la procédure engagée.


    26 juin 1996 : inquiétudes sur les résultats

    À l'approche des décisions que le gouvernement va prendre sur les dossiers d'un certain nombre d'Africains de la rue Pajol (Réfugiés de Saint Ambroise), le Collège des médiateurs tient à faire savoir qu'il est extrêmement préoccupé autant par l'issue des procédures que par le sort de ceux qui n'ont pas obtenu de réexamen de leur cas et de tous ceux, infiniment plus nombreux qui vivent dans notre pays en situation irrégulière.

    Le Collège juge opportun de souligner les carences de la législation actuelle et les dérives de la pratique. Il est convaincu de la nécessité d'une révision profonde de la politique française à l'égard des étrangers dont l'évolution actuelle crée des situations humaines inacceptables.

    Le Collège appelle donc le gouvernement à s'engager dans la voie d'un total renouvellement de la législation sur cette question et à utiliser sa force de proposition au sein de l'Europe pour aller dans le même sens, c'est-à-dire à rebours de la fermeture et de la répression actuelles.

    Il sollicite l'opinion publique pour qu'elle contribue activement à faire cesser des situations ouvertement contraires au respect des droits humains.


    1er juillet 1996 : conférence de presse

    1. Les médiateurs ont respecté le jeu de la démocratie en faisant appel aux institutions de la République responsables du traitement des problèmes de l'immigration. Ils avaient reçu l'assurance du cabinet du Premier Ministre que les cas des Africains sans papiers réfugiés successivement à Saint Ambroise, Japy, Saint-Jean-Baptiste-de-la-salle, la Cartoucherie et Pajol, seraient examinés dans le souci de les traiter avec la bienveillance que justifiaient leur comportement, les preuves de leur insertion dans la société française et l'absence de casier judiciaire de droit commun.

    2. Des mesures ont été prises par la préfecture de police pour procéder à un examen approfondi des dossiers. Mais, en fin de compte, le gouvernement a décidé de ne régulariser que 49 sur 315 Africains adultes concernés.

    3. Cette décision a été communiquée à la presse par le ministère de l'Intérieur pendant que les médiateurs étaient reçus à Matignon et avant qu'ils aient pu faire des contre-propositions argumentées.

    4. Les médiateurs considèrent cette façon de procéder comme inacceptable. Elle revient à récuser les efforts accomplis pendant plus de deux mois pour trouver des solutions équitables. Ils ont mis les autorités en garde quant aux responsabilités qu'elles prennent, face aux effets inévitables qu'entraînent le désespoir des Africains, la consternation et l'indignation des démocrates.

    5. Ils ont pu mesurer la dignité, le sens des responsabilités des Africains sans papiers qui ont attendu patiemment les résultats d'une procédure par laquelle ils se mettaient à la merci des autorités de contrôle. Ils voient en eux des hommes, des femmes, des familles de pays d'Afrique dont les peuples se sont battus pour la France dans toutes les guerres et ont apporté leur force de travail et leur culture : ils méritaient donc un autre traitement.

    6. Les médiateurs constatent que le gouvernement n'a pas fait usage de leur disponibilité et de leurs compétences pour une véritable médiation. Ils restent aux côtés des Africains pour les accompagner dans leur lutte et être leurs interprètes auprès de l'opinion publique et des plus hautes autorités de l'Etat. Il serait dramatique que la France, sous l'effet d'une politique qui ne peut convenir qu'aux dirigeants du Front National, quitte la voie de l'honneur et des droits de l'homme et prenne celle d'une société fermée donc en déclin.

    7. C'est pourquoi ils en appellent directement au Président de la république pour souligner l'urgence d'une politique entièrement renouvelée conformément à leur Adresse du 14 juin 1996.

    8. Ils projettent de tenir de très larges Assises pour débattre publiquement des bases d'une politique nouvelle d'immigration.


    10 juillet 1996 : permanence durant l'été

    Le Collège des « médiateurs », réuni le 10 juillet 1996, a pris les décisions suivantes :


    7 août 1996 [communiqué] : 34ème jour de grève de la faim

    Au 34ème jour d'une grève de la faim qui expose dix Africains à des conséquence irréversibles, le Collège des Médiateurs, qui a demandé sans succès à être reçu par le Président de la République, a exprimé le voeu que le Ministre de l'Intérieur écoute les délégués des Africains avant de partir en vacances. Il s'est heurté à un refus.

    Le Collège des Médiateurs ne peut que mettre le gouvernement devant ses responsabilités, de jour en jour plus lourdes, lorsqu'il tarde à prendre les mesures qui s'imposent et que le Collège n'a cessé de lui recommander.

    NB Le Collège des Médiateurs annonce qu'un site Internet est désormais consacré aux Africains "sans papiers" de l'Église St Bernard et de la rue Pajol.

    Une partie de ce site est réservée à l'action des médiateurs. Il comporte le texte intégral de l'Adresse au gouvernement et divers autres documents émanant de leur Collège. Ce site constitue un espace de débat dans la perspective des prochaines "Assises de l'immigration", organisées par les médiateurs à l'automne.

    Ce site comporte également des documents sur le mouvement des étrangers sans papiers provenant de diverses sources (gouvernement, Églises, associations, etc.) et une chronologie complète (et qui sera mise à jour) du mouvement des sans papiers de la rue Pajol. Outre les informations qu'il propose, ce site Internet permet à ceux qui le désirent d'envoyer un message aux sans papiers.

    Adresse Internet : http://bok.net/pajol


    16 août 1996 : lettre au Président de la République

    Collège des médiateurs
    14, rue d'Assas
    75006 Paris
    Paris, le 16 août 1996

    Monsieur Jacques Chirac
    Président de la République
    Palais de l'Elysée
    Paris

    Monsieur le Président,

    Nous avons accepté, en mars dernier, de tenter une médiation entre les Autorités gouvernementales et le groupe des Africains sans papiers actuellement réfugiés dans l'Eglise Saint-Bernard-de-la-Chapelle. Nous ne sommes dans cette affaire avocats d'aucune cause partisane, mais motivés par une exigence humaine, morale et culturelle.

    L'exigence humaine nous demande d'être sensibles à la tragédie qu'endurent ces personnes, vivant depuis longtemps en France, qui ont voulu y prendre racine, qui y ont souvent fait souche, qui n'ont pas d'autre arme dans leur malheur que d'exhiber celui-ci ou d'exposer leur vie dans une grève de la faim.

    L'exigence morale nous demande de traiter ces personnes non pas selon la stricte application d'une législation dont les lacunes et contradictions permettent des mesures arbitraires et cruelles, mais avec la compréhension que mérite leur détermination de s'intégrer dans notre société.

    L'exigence culturelle vient de la nature organique de la France, nation qui s'est formée dans l'intégration de diverses populations devenues provinces françaises, puis s'est affirmée dans l'intégration d'immigrés devenus français.

    Nous avons élaboré des critères de régularisation raisonnables, honnêtes et clairs qui permettraient de transformer une impasse suicidaire en issue courageuse.

    Ayant pu prendre conscience physiquement des dimensions douloureuses de leur problème, nous vous demandons instamment de manifester une compréhension à laquelle seront sensibles les opinions tant française qu'internationale et de prendre les mesures d'apaisement et de noblesse qu'aurait prises le général de Gaulle en songeant aux sacrifices que la France a demandé aux ancêtres de ces Africains quand elle les a mobilisés dans les deux guerres mondiales.

    Nous comptons sur vous, Monsieur le Président de la République, qui êtes le gardien de l'image de la France dans le monde, pour éviter les conséquences irréversiblement désastreuses qu'aurait une attitude d'inhumanité qui se prendrait pour de la fermeté.

    Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre très haute considération.

    [signé par les membres du collège des médiateurs]


    27 août 1996 [communiqué] : après l'expulsion de Saint Bernard

    Collège des médiateurs

    Six jours après l'expulsion brutale de l'église Saint-Bernard, la situation de l'ensemble des Africains sans papiers engagés dans ce mouvement n'a connu aucune clarification.

    Les deux mots d'ordre du gouvernement dans cette affaire : respect de la loi et humanité se trouvent ainsi contredits.

    Il est en effet inhumain de maintenir ces hommes et ces femmes dans l'incertitude sur la situation administrative qui leur sera faite.

    D'autre part, la transparence des procédures et la brièveté des délais sont des éléments fondamentaux de l'État de droit et font ici cruellement défaut.

    Le collège des médiateurs demande fermement au Gouvernement de mettre fin à ces incertitudes en utilisant largement les possibilités rappelées dans l'avis du Conseil d'État et souhaite que contact soit pris avec les délégués des Africains pour que leur soit communiquée immédiatement la liste détaillée et motivée des décisions prises dans le cas de chacun.


    21 octobre 1996 [communiqué] : journée des assises de l'immigration

    Le Collège des médiateurs, constitué en avril 1996 pour tenter de régler la situation des sans-papiers, organise des Assises pour une politique nouvelle de l'immigration qui se tiendront au Sénat, le lundi 18 novembre 1996, de 9 heures à 18 heures.

    Le Collège rendra compte des travaux de ses trois ateliers, respectivement consacrés à la législation française, aux actions communes de l'Europe à l'égard des étrangers, à la coopération internationale face aux données nouvelles du phénomène migratoire.

    Les invitations seront adressées aux divers vecteurs d'opinion (médias, représentants politiques, associations, syndicats, Églises, mouvements de pensée).

    Le Collège des médiateurs rappelle qu'un site Internet est consacré aux Africains sans-papiers "de Saint-Ambroise" actuellement regroupés rue du Faubourg-Poissonnière.

    Les documents préparatoires des Assises de l'immigration sont dès à présent disponibles sur le site, ainsi qu'une présentation de l'organisation de ces assises. À l'issue de la journée des assises, le site Internet rendra compte en détails des conclusions présentées par les médiateurs.

    Adresse Internet :  http://bok.net/pajol


    18 juin 1997 [communiqué] : le rôle des médiateurs

    Le collège des médiateurs qui avaient été réunis pour intervenir auprès des pouvoirs publics en faveur des « Sans papiers de Saint-Ambroise », estime que la nouvelle situation politique ne met pas fin à sa mission.

    Nous nous réjouissons des premières mesures annoncées par le gouvernement. Celles-ci correspondent globalement aux demandes que nous avions formulées dès avril 1996 : en plus d'un moratoire, la définition de critères permettant une régularisation au cas par cas et le recours, dans les cas litigieux, à une médiation.

    Nous enregistrons avec une vive satisfaction le fait que le gouvernement prenne en considération les avis de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme.

    Mais les difficultés de la mise en forme et de la mise en oeuvre des dispositions récemment annoncées nécessiteront une particulière attention...

    Nous réjouisssant aussi de la perspective d'un projet de loi, nous rappelons les voeux que nous avions exprimés dans une "Adresse au gouvernement" le 14 juin 1996, et lors des "Assises pour une nouvelle politique des migrations" le 18 novembre :

    Notre nouveau rôle est un rôle d'accompagnement, de vigilance et de proposition.

    Le collège des médiateurs