Circulaire du 10 août 1998
[sommaire]



NOR : INTD9800178C

Paris, le 10 août 1998.

LE MINISTRE DE l'INTERIEUR

A

MESDAMES ET MESSIEURS LES PREFETS (Métropole)
MONSIEUR LE PREFET DE POLICE

OBJET: Etrangers - application de la circulaire n° 97-104 du 24 juin 1997.

REF.: Mon télégramme n° 166 du 30 juillet 1998.

Dans le cadre de l'examen des recours formulés par certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière, je vous prie de bien vouloir instruire les dossiers dont vous avez été saisis à l'occasion d'un recours gracieux encore pendant, conformément aux précisions adoptées après consultation dela commission consultative sur les recours et qui figurent ci-dessous.

Ces modalités d'appréciation ainsi précisées se substituent aux fiches pratiques déjà en votre possession ou les complètent selon les cas.


1. La notion de « période en situation régulière » (point 1.6)

La période en situation régulière dont doit justifier l'étranger qui sollicite la régularisation de sa situation administrative demeure une condition préalable et indispensable au réexamen du dossier. En effet, l'existence de cette période en situation régulière témoigne de la volonté qu'a eue l'intéressé de se placer dans une situation conforme à la loi et de faire par-là un premier pas vers l'intégration.

Toutefois, il est apparu à la commission consultative sur les recours hiérarchiques qu'un assouplissement dans l'application de ce critère s'avérait nécessaire pour régler un certain nombre de situation humainement peu tolérables.

Aussi, la période en situation régulière dont doit attester la personne mentionnée au point 1.6 de la circulaire du 24 juin 1997, tout en demeurant d'une durée minimale de six mois, pourra être constituée par la production d'au moins deux autorisations ou récépissés de trois mois mais consécutifs ou non, et pour quelque motif que ces documents de séjour provisoire aient été délivrés.


2. La notion « d'activité régulière » (point 1.6)

Cette notion d'activité régulière doit être comprise dans ses deux acceptions complémentaires, à la fois au sens d'activité conforme aux lois et réglements (régularité-légalité), et comme activité présentant une certaine continuité (régularité-continuité).

Sur la régularité-légalité. S'il ne peut être exigé d'une personne en séjour irrégulier qu'elle exerce une activité professionnele dans des conditions régulières, il faut en tous cas que l'activité en question soit exercée dans une entreprise déclarée (inscrite au registre du commerce, déclarée à l'administration fiscale et à la sécurité sociale), et qu'il s'agisse d'une activité licite, c'est-à-dire d'une activité qui ne soit contraire ni à la loi ni à l'ordre public.

Sur la régularité-continuité. Il convient que l'activité invoquée à l'appui du recours gracieux couvre la majeure partie du séjour en France de l'étranger considéré, certaines discontinuités pouvant toutefois être acceptées, tenant soit à l'état du marché du travail, soit à la nature des emplois exercés par le demandeur (intérimaire, enploi à temps partiel).

Sur la preuve de l'activité régulière. La disposition de ressources régulières, établie - par exemple - par la procuction d'un compte bancaire ou d'un livret d'épargne régulièrement alimenté, ne saurait à elle seule établir l'existence d'une activité régulière. Cette preuve doit provenir essentiellement d'attestations d'emploi délivrés par l'entreprise, et de témoignages de tiers.


3. La notion « de respect des obligations fiscales » (points 1.4 et 1.6)

Vous ne prendrez valablement en considération les déclarations de revenus produites par les demandeurs, qu'en tant qu'elles portent sur l'année en cours et rétroactivement sur l'année ou les deux années précédentes.

S'agissant en particulier du point 1.6, le respect des obligations fiscales n'est que l'un des éléments permettant d'apprécier la bonne insertion du demandeur dans la société française. Son absence ne peut qu'exceptionnellement entrainer le rejet de la demande.


4. La notion « d'ancienneté de séjour »

Plusieurs points de la circulaire du 24 juin 1997 posent une condition d'ancienneté de résidence interrompue sur le sol français (notamment une ancienneté de séjour de sept années pour les célibataires sans charge de famille). Cette condition d'ancienneté de résidence demeure strictement opposable; s'agissant d'un critère qui représente déjà un abaissement sensible de la durée de séjour exigée d'un étranger en situation irrégulière pour qu'il puisse prétendre à l'obtention d'un titre de séjour.

Toutefois, pour l'appréciation de cette ancienneté de séjour, il convient désormais de se placer à la date à laquelle il est statué sur le recours gracieux.

La preuve du séjour. La règle est celle de la liberté de preuve, de la possibilité d'apporter cette preuve par tout moyen. Bien entendu, il faut que les éléments apportés aient une valeur probante de nature, suivant les cas, à établir la réalité du fait allégué ou à constituer des « présomptions graves, précises et concordantes » que, par exemple, le séjour a revétu un caractère continu.

S'agissant en particulier de la preuve de la date de début du séjour, et hormis le cas où cette date résulte d'un document officiel (visa ou compostage à l'entrée), cette preuve peut se faire par tout moyen ; ainsi, lorsque la date figurant sur un document officiel est postérieure à la date effective d'entrée en France (cela peut être le cas, notamment des demandeurs d'asile), la preuve de la date effective d'entrée en France peut être apportée par tout moyen.

S'agissant de la continuité du séjour entre la date d'entrée en France et la date à laquelle il est statué sur la demande de régularisation, le principe de liberté de preuve s'applique également ; toutefois, il y a lieu d'exiger non pas la preuve de la présence effective à chaque moment de la période de séjour, mais que le ou les éléments de preuve apportés par les demandeurs pour chaque année de séjour soient à même de constituer une présomption sérieuse de continuité de séjour pendant l'ensemble de la période.

Si le principe de liberté de preuve permet au demandeur d'apporter tous les éléments de preuve qu'il juge utile et interdit de récuser a priori tel ou tel élément, la valeur probante des différents éléments de preuve est évidemment inégale ; les documents officiels émanant des adminisatrtions et services publics, mais aussi les documents privés émanant de personnes physiques ou morales sans lien personnel avec le demandeur (relevés bancaires, ordonnances et certificats medicaux, factures, etc.) ont une très forte valeur probante.

En ce qui concerne les autres éléments de preuve apportés, dont la valeur probante dépend de leur consitance, c'est en général de leur rapprochement que pourra naître une conviction sérieuse de la présence continue du demandeur.

Enfin, en ce qui concerne plus précisément les témoignages - et sans qu'il y ait lieu de récuser a priori les témoignages de proches -, une valeur probante particulière sera attachée aux témoignages de présence émanant de personnes dépourvues de liens personnels avec les demandeurs (voisins, commerçants, responsables d'associations aux activités desquelles a participé le demandeur).


5. Traitement des demandes émanant de couples en situation irrégulière

Les demandes de régularisation présentées par deux étrangers en situation irrégulière, mariés ou non, constituant un couple sans enfant, doivent être traitées dans le cadre du paragraphe 1.6 de la circulaire du 24 juin 1997.

Il y a lieu de s'efforcer de traiter conjointement les demandes de régularisation présentées par les deux membres du couple sans enfant, marié ou non, du moins lorsqu'elles sont déposées ensemble, afin de faire pleinement apparaître, le cas échéant, les éléments de bonne insertion qui peuvent être liés au fait qu'ils vivent depuis plusieurs années en situation de couple stable.

J'aurai l'occasion de vous faire part ultérieurement de nouvelles précisions adoptées après avis de la commission consultative sur les recours hiérarchiques.

Jean-Pierre CHEVENEMENT