La chancellerie s'étonne de la circulaire Chevènement sur les reconduites d'étrangers


Mis à jour le jeudi 28 octobre 1999

LA CIRCULAIRE de Jean-Pierre Chevènement demandant aux préfets d'intensifier les procédures d'éloignement forcé des étrangers en situation irrégulière ( Le Monde du 28 octobre) a provoqué un certain agacement au cabinet d'Elisabeth Guigou. Ce texte mentionne la volonté du ministre de l'intérieur d'obtenir la publication par la garde des sceaux d'une « instruction pénale » en vue d'harmoniser les décisions des juges relatives au maintien en rétention administrative des étrangers en cours de reconduite ou d'expulsion ( Le Monde du 28 octobre). Le ministère de l'intérieur justifiait une telle demande par la disparité des jugements. Il souhaitait que des instructions soient données aux parquets pour qu'ils fassent appel des remises en liberté quand ces décisions leur paraissent contraires à la « norme ».

Au cabinet de la garde des sceaux, on s'étonne de ne pas avoir eu connaissance du texte de la circulaire avant sa publication. On s'étonne encore du fait que la demande de M. Chevènement concerne le domaine du droit civil dans lequel aucune instruction ne peut être donnée aux parquets. Mais surtout, le cabinet s'énerve de voir le ministre de l'intérieur empiéter sur les prérogatives de la justice : « Ce n'est pas de la compétence de l'intérieur », fait-on sèchement remarquer en ajoutant : « Si l'intérieur considère qu'il y a des divergences dans la jurisprudence, qu'il fasse appel des décisions comme l'autorise la loi. »

L'agacement a également gagné le Syndicat de la magistrature : pour sa présidente, Anne Crenier-Vaudano, cette circulaire est « un dérapage inacceptable » : « Il serait temps que M. Chevènement comprenne que la justice repose sur le principe de l'individualisation de la peine et que le judiciaire ne fonctionne pas selon des critères administratifs. »

« DE LA GESTICULATION »

Le cabinet de Jean-Pierre Chevènement assure aujourd'hui qu'il n'était pas dans ses intentions de donner une quelconque injonction à la justice, mais seulement de faire savoir aux préfets qu'une demande interministérielle avait été faite sur le sujet : « Cela fait des mois que nous demandons une instruction générale sur la loi Reseda [sur l'immigration] par le ministère de la justice », explique un proche du ministre assurant que, d'un département à l'autre, les discordances entre les jugements sur ce point sont « visibles ». Pourtant, de l'avis de nombreux observateurs, les décisions de remise en liberté ne concernent pas plus de 2 ou 3 % des demandes de prolongation de rétention.

L'objet même de la circulaire a fait réagir les associations de défense des étrangers. « On a l'impression de retourner deux ans en arrière, juge Jean-Marc Dupeux, secrétaire général de la Cimade ; on ne peut pas parler de "politique équilibrée" tout en remettant sur le tapis le nombre de reconduites à la frontière commeindicateur d'une bonne politique d'immigration ». Le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), lui, minimise l'impact de la circulaire : « C'est de la gesticulation classique de ministre de l'intérieur qui s'énerve sur son taux de reconduite à la frontière à quelques jours de la discussion budgétaire où il devra justifier sa politique », assure Jean-Pierre Alaux, qui estime que « cela n'aura aucune conséquence dans les préfectures ».

Sylvia Zappi



Le Monde daté du vendredi 29 octobre 1999


Droits de reproduction et de diffusion réservés; © Le Monde 1999Usage strictement personnel.