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LE MONDE / 14 Mars 2000 / Page 17

HORIZONS - DEBATS

Un dÈbut d'Èchange constructif
 


 

     L ES propos d'Alain JuppÈ, au dÈbut du mois d'octobre 1999, puis, plus rÈcemment, ceux de Gilles de Robien, permettent de commencer ý envisager une sortie du " conflit idÈologique " sur l'immigration, thËme qui a structurÈ ces vingt derniËres annÈes le champ politique national, utilisÈ par chacun des deux camps comme repoussoir, de maniËre parfois caricaturale, et conduisant mÍme aux pires extrÈmitÈs.

La question de l'immigration me tient ý coeur. Elle est ý l'origine de situations douloureuses auxquelles j'ai ÈtÈ souvent confrontÈ. J'avais ÈtÈ appelÈ ý intervenir ý l'occasion de l'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard. Pendant la crise de l'ÈtÈ 1996, j'avais fait connaÓtre ma disponibilitÈ pour participer au rËglement des difficultÈs, comme l'avait suggÈrÈ le collËge des mÈdiateurs. Le pouvoir avait alors choisi une mÈthode diffÈrente, plus expÈditive et n'avait pas donnÈ suite ý mes offres.

A l'Èpoque, il m'avait semblÈ que les difficultÈs d'application de la lÈgislation, d'une extrÍme complexitÈ et comportant de nombreuses lacunes, ne portaient pas seulement prÈjudice aux Ètrangers par la part d'arbitraire qu'elles entraÓnaient, mais qu'elles compromettaient aussi l'efficacitÈ de l'action administrative.

C'est pourquoi, une rÈflexion d'ensemble sur cette lÈgislation et son adaptation s'imposaient. En octobre 1996, pour mettre en Èvidence certaines difficultÈs et proposer une premiËre sÈrie d'adaptations, j'avais Ècrit au ministre de l'intÈrieur, Jean-Louis DebrÈ, et au premier ministre, Alain JuppÈ.

Mon courrier Èvoquait l'essentiel de ce qu'on trouvera moins d'un an plus tard, de maniËre Èvidemment beaucoup plus complËte et rigoureuse, dans le rapport Weil : la situation des parents Ètrangers d'enfants franÁais rÈsidant en France, des Ètrangers mariÈs depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalitÈ franÁaise, des Ètrangers rÈsidant habituellement en France depuis une longue pÈriode, des enfants d'Ètrangers arrivÈs en France avant l'’ge de dix ans et des Ètrangers en situation irrÈguliËre dont l'expulsion aurait, sur leur situation personnelle, des consÈquences d'une extrÍme gravitÈ.

En outre, j'attirais l'attention des ministres sur les conditions actuelles d'admission au droit d'asile et au statut de rÈfugiÈ ainsi que sur la question des personnes pouvant prÈtendre ý une vie familiale normale, au regard notamment du principe ÈnoncÈ ý l'article 8 de la Convention europÈenne des droits de l'homme.

En guise de rÈponse, la lÈgislation adoptÈe par le Parlement au dÈbut de 1997 a ÈtÈ extrÍmement restrictive, ne laissant guËre de place ý la prise en compte des situations individuelles, ce qui, loin de rÈsoudre les difficultÈs dÈnoncÈes, conduisait au contraire ý maintenir des situations impossibles, tant sur le plan juridique que sur le plan humain.

La circulaire du 24 juin 1997, puis la loi ChevËnement, ont permis la rÈgularisation d'un nombre significatif de personnes, mais d'importantes et rÈelles difficultÈs demeurent et le problËme de l'immigration n'est pas encore rÈglÈ aujourd'hui de faÁon satisfaisante.

Trois raisons au moins expliquent la permanence de cette situation. D'une part, chacun sait que les raisons de l'immigration clandestine, pas ou peu visible, mais pourtant bien rÈelle, sont d'ordre essentiellement Èconomique.

D'autre part, on n'a pas abordÈ la question du droit d'asile avec le courage qui s'impose. Si la maÓtrise des flux migratoires Èconomiques ne peut Ítre organisÈe ailleurs que dans le cadre de l'Union europÈenne, en revanche, en matiËre d'asile, la France peut et doit faire entendre sa voix originale, s'inscrivant dans une tradition libÈrale que les horreurs du monde commandent de maintenir et mÍme de renforcer.

Or nous sommes encore aujourd'hui excessivement frileux. Je suis convaincu qu'une libÈralisation du droit d'asile n'entraÓnerait pas d'afflux massif d'immigrants, alors mÍme qu'elle transformerait en immigrÈs rÈguliers, soucieux d'intÈgration et oeuvrant activement au dÈveloppement Èconomique de leur pays d'accueil, des clandestins qui s'Ètablissent en tout Ètat de cause dans notre pays sans lui apporter la force vive qu'ils peuvent constituer.

Enfin, je crois indispensable de dynamiser, prÈcisÈment, notre politique d'intÈgration. Les attentes sont nombreuses en la matiËre, et je n'aurais pas l'outrecuidance de prÈsenter le catalogue des mesures ý prendre. Si l'on veut parvenir ý amÈliorer profondÈment et durablement la situation, il faut cependant s'engager rÈsolument dans deux voies parallËles. Au plan Èconomique et social, il convient d'amÈliorer les possibilitÈs d'accËs au travail des jeunes gens et des jeunes filles issus de l'immigration, notamment en renforÁant et en facilitant leur scolarisation, en apportant une aide massive, en particulier budgÈtaire, aux associations crÈatrices d'emplois et, enfin, en permettant de sanctionner plus sÈvËrement les pratiques discriminatoires ý l'embauche des jeunes issus de l'immigration.

Au plan politique, il est nÈcessaire de renforcer l'intÈrÍt des immigrÈs et de leurs familles pour la vie de la citÈ : il est donc lÈgitime de les intÈgrer dans le processus de choix des responsables locaux et de les inciter ý trouver intÈrÍt ý ce qu'ils le deviennent eux- mÍmes. Je crois dÈsormais opportun que ceux d'entre eux qui sont durablement installÈs dans notre pays, par exemple depuis dix ans, puissent rapidement devenir Èlecteurs et Èligibles aux Èlections municipales, tout comme les citoyens des Etats membres de l'Union europÈenne.

PAR JACQUES PELLETIER


Jacques Pelletier, ancien mÈdiateur de la RÈpublique, ancien ministre, est sÈnateur (RDSE) de l'Aisne.

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