Une réplique à Emmanuel Todd

par Jean-Louis Motchane [débat]


lemonde du jeudi 20 février 1997 (Horizons-débats).

DANS Le Monde  daté 16-17 février, Emmanuel Todd (« auteur, nous dit le journal, d'une note pour la Fondation Saint-Simon, et qui inspira le thème de la campagne présidentielle de Jacques Chirac »), voit dans la mobilisation contre le projet de loi sur l'immigration déposé par M. Debré « quelque chose de pervers ». Sur les soixante dix-sept lignes qui rapportent ses propos, il en utilise onze pour exprimer son déchirement, et le reste à fustiger les signataires de « l'appel à désobéir » lancé par les cinéastes. Il leur reproche leur « indifférence » aux vrais problèmes des immigrés, comme à ceux des milieux populaires français, et leur prétendue absence d'indignation concernant « le taux de chômage à 12% », leur capacité à ne pouvoir « affirmer leur solidarité qu'avec les immigrés et pas avec les victimes économiques ».

On sait maintenant que les milliers de citoyens qui se sont ralliés à cet appel appartiennent à des couches très diverses de la population, y compris des titulaires d'emplois précaires, des ouvriers, des chômeurs en fin de droit ou des intermittents du spectacle.

Parmi eux, on retrouve, contrairement aux affirmations de M. Todd, beaucoup de ceux qui ont participé aux mouvement sociaux récents et qui exprimaient, pour la plupart d'entre eux, le rejet de la politique libérale que M. Chirac a mise en place après son élection.

On ne peut pas accuser M. Todd d'accabler le lecteur par la rigueur de sa pensée (toutes les victimes économiques ne sont pas immigrées, mais beaucoup d'immigrés sont des victimes économiques) ou par des études trop minutieuses à l'appui de ses assertions péremptoires.

On aurait tort cependant de négliger ses propos. Car le langage banalement populiste qu'il utilise pour stigmatiser « les élites culturelles » et l'amalgame surprenant et choquant qu'il établit par exemple entre Bernard-Henri Lévy et le Front national, qui constituent d'après lui « une totalité structurale », valident en partie les conseils qu'il prodigue aux intellectuels pour lutter contre le Front national : certains d'entre eux devraient effectivement s'abstenir d'intervenir de cette manière dans le débat public, et se borner plutôt à faire ce en quoi ils excellent : une nouvelle note pour la Fondation Saint-Simon. D'ici peu, M. Chirac risque d'en avoir besoin.


Jean-Louis Motchane est professeur de physique à l'université Paris VII Denis-Diderot.