À propos de la coordination nationale

texte de Madjiguène Cissé [pajol]


Madjiguène CISSE
Porte-parole du Collectif des sans-papiers de Saint-Bernard
Membre fondatrice de la Coordination nationale des sans-papiers

Paris, le 21 juillet 1999


REVENIR sur les circonstances de la création de la Coordination nationale, son rôle dans la lutte et son histoire sont des réflexions essentielles à mener : sans ce regard, nous aurons tous les plus grandes difficultés à donner de nouvelles perspectives à notre combat. Pourquoi, avec qui, contre qui et comment avons-nous lutté: c'est en répondant collectivement à ces questions que nous allons trouver les moyens et les méthodes pour gagner. L'enjeu de l'existence d'une coordination nationale pour les sans-papiers vient d'être encore une fois démontré par l'Etat français : les conditions de l'arrestation d'un de ses représentants et sa condamnation à la prison ferme prouvent que, malgré sa paralysie actuelle, la coordination est toujours jugée comme un dangereux obstacle, à l'heure où, partout, les sans-papiers s'interrogent sur les moyens de reprendre la lutte.

Il y a trois ans, le 20 juillet 1996, la Coordination nationale des collectifs de sans-papiers tenait son assemblée générale constitutive. En quatre mois, la lutte engagée lors l'occupation de l'église Saint-Ambroise a en effet montré la voie et les collectifs se sont multipliés dans toute la France. On est désormais loin des 300 dossiers imposés du départ et d'une lutte locale et circonscrite : le débat sur la question du statut des étrangers vivant en France est enfin ouvert sur des bases politiques. Avec la création de la coordination, il s'agit alors en priorité de "protéger" le collectif qui occupe l'église Saint-Bernard et dont 10 membres se sont engagés dans une grève de la faim. Cette "protection" ne se réduit pas à monter la garde. Il s'agit d'intensifier la mobilisation par la création de collectifs partout où cela est possible, par l'organisation d'une campagne d'information et de sensibilisation tous azimuts contre les lois Pasqua et toutes les lois anti-immigrés et, sur cette base, de créer un mouvement national des sans-papiers. L'objectif est aussi d'assurer la jonction avec les résidents des foyers en lutte, les immigrés en situation régulière mais menacés de dérégularisation, les jeunes des banlieues, les chômeurs et les précaires, et plus généralement avec les travailleurs en lutte. Enfin, il s'agit de contribuer à l'isolement de la France dans les instances internationales, pour non respect des conventions des droits
de l'homme. Cette orientation décidée collectivement au sein de la Coordination a d'emblée placé la question des "papiers pour tous" à son plus haut niveau politique. Toutes les questions fondamentales ont pu y être débattues : régularisation globale ou sur critères, contenu et historique des lois, rapports nord-sud, luttes sociales, rapport entre collectifs locaux et secrétariat national, autonomie et relations avec les organisations constituant le soutien, modalités et formes de la mobilisation ... C'est dans la lutte, y compris la lutte interne, avec les rapports de force, les pressions et les affrontements que cela implique que la coordination nationale des sans-papiers a élaboré sa plate-forme, autour de la revendication centrale des "papiers pour tous". La dynamique que nous avons ainsi lancée en 1996 a permis le mouvement contre la loi Debré en 1997, qui a vu des centaines de milliers de manifestants déferlés dans toute la France, obligeant le gouvernement à reculer (une grande première dans les lois anti-immigrés). C'est cette dynamique qui a également conduit le candidat du parti socialiste à promettre le retrait de cette loi ainsi que des lois Pasqua durant sa campagne. Nous connaissons tous la suite... Les difficultés et les obstacles politiques que nous avons rencontrés dès l'origine à Saint-Ambroise et lors de la création de la coordination nationale auraient pu, selon certains, être aplanies avec l'arrivée de la gauche plurielle au pouvoir en juin 1997. Elles se sont au contraire aggravées. Les dégâts ont été d'autant plus importants que notre mouvement avait privilégié l'action de mobilisation et peu veillé à sa propre construction et à sa consolidation politique. Les organisations politiques, syndicales ou associatives qui constituaient le soutien se sont très majoritairement trouvés en grave porte-à-faux vis-à-vis des sans-papiers, et cela a indiscutablement affaibli notre mouvement en instaurant et alimentant les divisions. Cette contradiction s'est rapidement traduite par les dérives au sein de la Coordination. Dirigée par un nouveau secrétariat, celle-ci a alors tourné le dos à la revendication des papiers pour tous, et a conduit le mouvement dans une impasse : enfermement sur l'activisme local, détournement de la lutte vers les grèves de la faim, disparition progressive de toute activité centralisée à l'exception des manifestations nationales. Cet émiettement, totalement contraire à nos objectifs initiaux, était rendu nécessaire par les reculs politiques désormais entrepris par la nouvelle Coordination. La circulaire Chevènement ne fut pas réellement combattue, et servit de prétexte au cas par cas, aux divisions, à la corruption des petites listes, au retour à l'enfermement local. La loi Chevènement elle-même a pu être votée, et, le constat est cruel, cela non pas parce que les députés étaient tous pour, mais parce que désormais, le mouvement des sans-papiers ne se battait plus officiellement pour son retrait. La mise en avant du mot d'ordre "régularisation de ceux qui en ont fait la demande", outre qu'il traduisait l'acceptation de la circulaire et du cas par cas, a aussi porté un coup fatal à ce mouvement de soutien que nous avions réussi à créer et surtout à maintenir, malgré les divergences, les rivalités et les calculs qui l'avaient toujours traversé. La coordination des sans-papiers traverse donc depuis plusieurs mois une crise grave, et que nous devons surmonter ensemble. Cette nécessité s'impose pour des raisons simples, qui sont celles qui ont présidé à sa création. La revendication de la régularisation de tous les sans-papiers est toujours à l'ordre du jour, de même que toutes les revendications de notre plate-forme historique. Ensuite, l'expérience l'a désormais amplement démontré : aucun collectif, aussi nombreux et mobilisé soit-il, n'a jamais vu ses revendications satisfaites en s'isolant. Le collectif Saint-Bernard, fer de lance de la lutte, n'a obtenu des résultats que parce qu'il était au coeur d'un mouvement national structuré par la Coordination et ses revendications fondatrices.

Enfin, ce n'est qu'avec une organisation solide du côté des sans-papiers que la question des relations et du travail commun avec les structures et les organisations qui luttent réellement pour l'égalité des droits pourra progresser et nous faire tous gagner dans l'unité. A ce titre, l'expérience des sans-papiers régularisés et leur volonté de continuer la lutte avec nous, sont des atouts extraordinairement précieux sur lesquels nous devons résolument compter.