par Mogniss H. Abdallah/agence IM'média | [page d'accueil] |
Le besoin d'un outil de communication propre à la Coordination nationale a souvent été évoqué mais n'a pas trouvé de débouché concret. Un seul n° d'un bulletin national a été diffusé de façon confidentielle avant l'été 97. Auparavant, il y a bien eu quelques numéros du Sans-Papier Libéré, consistant pour l'essentiel à rassembler des tracts, communiqués et documents des différents collectifs, et à les agraffer ensemble. Initié par le Gisti, ce travail n'a pas eu de suite, faute de participation directe des sans-papiers. En revanche, plusieurs collectifs ont produit leur bulletin propre (Saint-Bernard, Lille, Morlaix, Val-de-Marne...) sans périodicité déterminée, et diffusé au petit bonheur la chance. Sans vouloir porter de jugement de valeur, ces bulletins s'apparentent à des "tracts améliorés". Derrière une rhétorique militante énumérant les revendications sous forme de catalogue, transparait une "communication institutionnelle" qui a avant tout pour souci l'affirmation de soi, comme pour marquer un territoire. Il y a très peu d'information, et quasimment pas de débat d'idées. D'où une redondance qui donne l'impression de relire sans cesse une énième version du même discours, auto-proclamatoire, ce qui finit par lasser et détourne l'intérêt du lecteur. En tout cas, on n'y retrouve pas la richesse des débats parcourant le mouvement des sans-papiers ni la diversité de l'expérience accumulée. Aussi est-on en droit de se demander pourquoi le mouvement en général - et la Coordination en particulier -, n'est pas arrivé à se doter d'outils de communication appropriés, et pourquoi il n'optimalise pas davantage les possibilités existantes : les radios libres et leurs réseaux sont sous-utilisés, les messages audio-tel ne sont pas renouvelés, la rubrique Coordination nationale du site internet consacré aux sans-papiers affiche en tout et pour tout le premier communiqué du 20 juillet 96, comme une déclaration d'intention sans suite, suivi d'adresses de collectifs périmées depuis belle lurette!!
De fait, le mouvement est victime de son succès médiatique ...originel. On a tendance à l'oublier : c'est grâce à la TV que beaucoup de sans-papiers ont rejoint l'église Saint-Ambroise, y compris nombre de ses principaux porte-paroles actuels. C'est grâce aux expulsions policières médiatisées qu'il y a eu émoi dans une partie de l'opinion publique. Une sorte de dépendance entre sans-papiers et médias grand public s'est très vite instaurée, à tel point que les gens couraient acheter le quotidien Libération comme si c'etait le J.O. ( "journal officiel" ) du mouvement! Et lors des grandes heures de Saint-Bernard, les négociations avec Debré et le gouvernement Juppé se faisait par l'entremise du J.T de 20h! Les journalistes jouaient alors le jeu. Pour passer l'info, il suffisait de baratiner un tel ou une telle, de portable à portable. La communication high-tech semblait disqualifier d'emblée toutes les autres formes de circulation de l'info. Le mouvement s'est alors projeté sans recul dans l'effet-miroir des médias, collectionnant et exhibant les coupures de presse, ne se souciant pas de constituer son propre organe d'expression. Puis le vent a changé, sans crier gare. Le 12 septembre 1996, la Coordination lance sa première journée d'action d'envergure nationale. Aux quatre coins du pays, des actions majeures ont lieu. Les médias n'en soufflent mot. Par une de ses petites phrases assassines sur l'inégalité des races, Le Pen ravit à nouveau la vedette. Et le mouvement se retrouve sans voix! Qu'importe. L'activisme, les manifs et caravanes, les AG et réunions, les réseaux , les projets de bouquins etc... donnent l'impression que l'info circule suffisamment bien pour que le mouvement puisse rebondir au moment opportun. Et de toute facon, les photocopieuses et les fax du "soutien" fonctionnent a plein régime pour produire et diffuser toujours plus de tracts.
Les slogans de la Coordination sont repris, les liens affinitaires se développent au gré des rencontres, mais il n'y a toujours pas de communication interne organisée et systematisée. Du coup, le secrétariat parisien de la Coordination est soupconné de faire une rétention délibérée de l'information. Mais n'est-ce pas plutôt le piège de l'attraction pour les grands médias, le jacobinisme politique et un manque de savoir-faire qui sont pour l'essentiel à l'origine de ce laisser aller ? Il est à cet égard révélateur que l'association de la Coordination avec Act Up autour du picketing hebdomadaire a provoqué un sursaut de "public relations", avec une info systématisée autour de cette initiative qui, par sa reproduction régulière, contribue fortement à la structuration du mouvement, ou du moins à lui donner de nouveaux points de repères.
C'est du côté d'associations comme Act Up ou d'organes, parties prenantes du mouvement mais indépendants, qu'on trouve des velléités d'une systématisation de circulation de l'info : zpajol, Gisti, Cimade, IM'média, No Pasaran, Rouge... Chacun avec ses préoccupations propres.
Il me semble ici important de souligner l'intérêt particulier que peut représenter pour la Coordination un média "tactique" comme le site internet des sans-papiers et la liste de diffusion zpajol. IM'média y participe d'ailleurs, encore trop modestement il est vrai. Ce site, initié par une poignée de "soutiens", a l'avantage d'être disponible à tout moment pour un usage polyvalent : il permet une communication en temps réel entre tous ses utilisateurs, et sa consultation est gratuite. Les dernières infos y cotoient des échanges de points de vue contradictoires, et surtout, on peut intervenir soi-même sans censure. La rubrique actualités est régulièrement mise à jour, et constitue une base d'archives exceptionnelle depuis le début du mouvement. Différentes associations ont leur page propre, comme le Gisti. En revanche, ni la Coordination ni aucun collectif n'a encore utilisé cette possibilité. Et pourtant, elle garantit l'autonomie et l'intégrité de chacun. Enfin, je rappelle qu'au delà de la consultation sur écran, le site permet de reproduire sur imprimante papier tout document écrit ou photo. Ainsi, chaque abonné à la liste zpajol peut recevoir simultanément dans sa boite aux lettres les appels de la Coordination nationale et peut les reproduire à sa guise.
Je proposerai donc que les collectifs s'y penchent sérieusement, et ne se contentent pas de s'appuyer sur le volontarisme de tel ou tel "soutien" pour passer de simples messages au coup par coup. C'est d'ailleurs le meilleur moyen pour éviter qui-proquos et procès d'intention à l'encontre de ceux parfois accusés de passer des infos "qui ne sont pas dans la ligne". Chaque collectif doit avoir une adresse électronique. Bien sûr, il faut avoir un minimum de matos informatique et une formation pour manier l'outil. Pour tout vous dire, je n'y connais moi-même pour ainsi dire rien à l'informatique. Ce n'est pas pour autant que je délaisse ce média désormais indispensable. Il y a des bonnes volontés qui sont prêtes à assurer la formation technique, et dans chaque ville il y a bien une connaissance deja connectée à internet. Il est vraiment temps de s'y mettre.
Mogniss H. Abdallah/agence IM'média
Décembre 1997.